Peu de gens s’en souvienne mais je suis un être vivant à part entière. La roche est mon squelette et je grandis au rythme lent, très lent du règne minéral. Depuis des millions et des millions d’années, mes courbes se sont dessinées au gré du déchainement des éléments. En douceur bien souvent, avec une violence inouïe parfois. Je suis en perpétuelle mutation mais aujourd’hui on m’appelle, Grand-Mère Montagne.
Mon corps tout entier abrite une infinité d’êtres micellaires, végétaux et animaux, qui célèbrent chaque matin l’hymne de la vie. Certains dans ma terre fertile et grouillante à travers une danse verticale de l’humus, transformant sans arrêt la mort pour la rendre à la vie ; d’autres parcourent mon corps e, tous sens, tantôt à terre, tantôt en l’air, dans un doux vacarme incessant, se relayant jour et nuit en une ronde exaltante. Cet écosystème complexe et fragile accueille le cycle de chaque saison dans une routine extraordinairement surprenante à chaque instant.
Cependant, parfois, lorsque la lune est ronde et luisante, des femmes, des humaines viennent à moi. Elles pénètrent mon ventre, elles parlent à mon cœur, elles veulent célébrer la vie, ici, dans ma grotte ! Elles allument des feux, retrouvent leur sauvage nudité, elles grognent, elles feulent, elles chantent, pleurent et rient, s’enduisent le corps d’ocres et d’argiles, s’abreuvent à ma source et s’enivrent de mon odeur, elles écoutent les pulsations de mon cœur. Et dans ces rites sans âges, elles honorent toute cette vie qui s’écoule en moi, toute cette vie qui s’écoule en elles, dans une communion vibrante, joyeuse, festive, dans une insouciante conscience, incarnat le sacré au son de leurs tambours. Elles savent, elles savent qui je suis. Et dans leurs transes effrénées, dans leurs reliances divines, nos corps et nos âmes se mêlent et se confondent pour nous rappeler qu’indéniablement nous sommes reliées.
-Aurélie l’Argiliste-